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publié par arnaud le 17/11/05
Broadcast
- Tender Buttons
Tender Buttons

LINEUP

Broadcast est un groupe rare. Bientôt 10 ans de carrière et seulement 3 albums et une compilation de singles. Chacune de ses sorties est donc attendue de pied ferme par les fans et par tout bon critique qui se respecte, histoire de juger de l’évolution du groupe, dans sa musique comme dans son line-up. En effet à chaque nouvel album, le groupe de Birmingham semble perdre un élément. Depuis Ha Ha Sound, paru en 2003 on savait ses membres réduits au trio, mais sur disque la différence n’était pas du tout à leur désavantage, bien au contraire, leur musique aux accents électroniques et psychédéliques s’était un peu plus renforcée dans le synthétique, lui donnant un léger aspect glacé et glacial qui seyait plutôt bien à la voix distante de Trish Keenan. A la veille de travailler sur son successeur, on nous annonçait le départ de Tim Felton, membre fondateur, et responsable du son de guitare si caractéristique au groupe. Comment le reste de la formation allait digérer cette désertion ? S’orienterait-il vers une musique encore plus électronique et succombant moins à l’appel de l’expérimentation acoustique ? A l’écoute de Tender Buttons, on ne peut pas répondre franchement à cette question. Certes l’album semble plus marqué par les claviers minimalistes et les boites à rythmes, mais néanmoins les guitares sont encore présentes et on sent toujours le groupe appliqué à proposer une pop-music intelligente, hors des sentiers battus, sans pour autant sombrer dans l’electro-branchouille vide de sens.

HYPNOTIQUE

Car Broadcast, sans être pour autant passéiste, reste fidèle à ses influences, à ce mélange particulier de pop 60’s mélancolique (Françoise Hardy en tête), de psychédélisme américain (The United States Of America, groupe référence pour les Anglais) mais aussi de krautrock hypnotique (Can pour ne citer qu’eux, un groupe déjà vénéré par Stereolab). Il y a toujours chez eux cette nostalgie mélangée aux sons et aux technologies actuels (à ce titre ils ne dépareillent pas du tout sur le catalogue Warp). Le désormais duo se focalise sur la répétition et le minimalisme, alliés au charme de la voix de sa chanteuse, Trish, laquelle s’appuie de plus en plus sur l’écriture automatique, créant de petites pièces poétiques des plus fascinantes : Black Cat qui décrit de manière innocente les troubles de la conscience sur fond de synthé répétitif et de guitares distordues ; ou encore Tender Buttons, véritable cut-up de spoken words. Paradoxalement, on est en présence de l’album le plus expérimental du groupe et pourtant les chansons restent parfaitement accessibles, en dépit d’une palette sonore moins riche et variée. Ici les joyaux s’appellent Black Cat, America’s Boys ou Corporeal et présentent tous une forte propension à la mise en boucle, à la réitération systématique comme pour mieux inscrire les mélodies dans les esprits.

FRAGILE

Dans sa forme, Tender Buttons est un disque sec, minimaliste, mais qui sait tirer profit de cette austérité, jusqu’à la dépasser pour faire plutôt ressortir une fragilité qui prend des allures presque rassurantes : celle de la petite chambre d’étudiant au confort spartiate. Et quand on sait que l’album a été intégralement enregistré à la maison, on comprend mieux cette impression d’intimité que dégagent Tears In The Typing Pool (la voix doucement réverbérée de Trish repose sur une guitare acoustique tout juste éclairée par un mellotron) ou You And Me In Time par exemple. Cette fragilité contraste avec l’impression de distance, voire de suffisance diront les mauvaises langues, parfois associée à la chanteuse. Pourtant au fil des écoutes, elle se révèle l’élément clé du disque, dans sa manière de chanter, mais aussi dans le choix des thèmes de ses chansons et des mots qui les illustrent. Il y a quelque chose de touchant et de profondément humain derrière le froid apparent des compositions de Broadcast. Sur Goodbye Girls, elle décrit ces filles « qu’on ne salue jamais » de manière faussement légère : « Vacantly they listen, giving no emotion, leaving no impression, love you all night » (« Elles écoutent distraitement, sans laisser passer aucune émotion, elles ne laissent aucune impression, elles t’aiment toute la nuit »). Pour Keenan, qui dit ouvertement compter une ou deux prostituées dans sa famille, il s’agit de mettre en opposition la forme de la chanson, légère donc, énergique et colorée, avec le fond, qui n’est qu’une négation de la conscience, une manière forcée de se déconnecter de l’affect. Mais ceci sans porter de jugement de valeur, ni jouer la donneuse de leçon : quand on lui demande son avis elle répond que « de temps en temps c’est pas plus mal de « se débrancher » et s’empêcher de ressentir quoique ce soit » ! Trish joue avec les mots et les sentiments, brouille les pistes de manière innocente, frappant là où on ne l’attend pas. Sur America’s Boys, premier single de l’album, elle prend une position ambiguë vis-à-vis de l’armée américaine, ironisant sur les fondements du conflit irakien et sur le culte des armes dans la société américaine (« Quaker toil & Texan oil. Rockets on... we’re arm in arm » « Labeur de Quaker et pétrole texan, missile chargé, bras dessus bras dessous »), tout en laissant planer un doute sur son sentiment vis à vis de la fierté et du soutien du peuple pour ses boys. Il demeure dans le morceau, une sorte de fascination pour ce phénomène patriotique qui dépasse un peu le reste du monde.

DISTANCIATION

Dans sa manière de chanter, Keenan ne semble pas vouloir prendre parti, toujours fidèle à cette notion de distanciation, la même que l’on retrouve dans l’obsédant Corporeal, mélodie entêtante méthodiquement déstructurée par les effets électroniques des claviers, sur lequel la chanteuse joue les mannequins passifs, sujet d’observation à étudier et classifier. Petite merveille d’écriture, à l’image de l’album dans sa globalité, qui prend à contre-pied, sait endormir, se faire oublier, en évitant de faire des étincelles pour encore mieux se révéler et s’imposer au fil des écoutes. Tender Buttons est une créature intrigante qu’il faudra regarder sous toutes ses coutures avant d’en apprécier chacune des facettes. Mais une fois apprivoisée, elle dévoile un groupe à la vision bien plus personnelle et originale que d’autres à qui il est injustement trop souvent comparé. Broadcast continue d’avancer, toujours un peu plus sauvage et difficile à saisir, mais pour ceux qui auront la patience de lui emboîter le pas, la balade s’annonce des plus excitantes et surtout des plus surprenantes.

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publié par le 17/11/05
Informations

Sortie : 2005
Label : Warp/PIAS

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