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publié par Mélanie Fazi le 10/08/14
Mister Babadook - Jennifer Kent
Jennifer Kent

Bien que précédé d’une bonne réputation, ce premier film de la cinéaste australienne Jennifer Kent risque fort de rater son public. Sorti à la sauvette en plein été sans grande promotion, il paraît de prime abord se présenter comme un énième film de monstres se rattachant à un courant du fantastique assez prisé en ce moment, celui du mal qui menace une famille de l’intérieur sous son propre toit (voir Insidious ou Sinister, sans parler de remonter jusqu’à Poltergeist ou même L’Exorciste). Mais dès les premières séquences, on pressent qu’on se trouve devant tout autre chose. Un vrai malaise naît dans ces premières minutes qui dépeignent le morne quotidien d’Amelia (la formidable Essie Davis), veuve depuis l’accident qui a tué son mari Oskar alors qu’il la conduisait à la maternité pour accoucher de leur fils Samuel (Noah Wiseman). Amelia a le plus grand mal à gérer Samuel, petit garçon incontrôlable, en quête d’attention constante, obsédé par les monstres et les armes. Le ton est donné dès cette scène initiale où Samuel, réveillé par un cauchemar, insiste pour que sa mère épuisée lui lise et lui relise la même histoire. Lorsqu’ils s’endorment enfin dans le même lit, Amelia se recroqueville tout au bord, le plus loin possible de Samuel, pour éviter le moindre contact.

Au bord de l’implosion

Tout est dit en quelques images. Plus qu’à d’autres références de films de genre, c’est à We need to talk about Kevin qu’on pense à plusieurs reprises, dans la manière de mettre en scène, du moins dans la première partie, une relation profondément dysfonctionnelle entre mère et fils. Un quotidien au bord de l’implosion qu’on pressent à même de laisser entrer le drame – ou le surnaturel. Toute la première partie est lente, pesante, et d’une impressionnante attention aux détails. Le film menace de basculer lorsqu’Amelia lit un soir à son fils un livre pour enfants trouvé sur l’étagère mais qu’elle ne se rappelle pas avoir acheté. Un livre aux couleurs sombres et au message franchement malsain derrière le langage enfantin. Dès lors, Samuel devient obsédé par le monstre du livre, le Babadook du titre. Amelia, déjà fragilisée par l’approche de la date anniversaire de la mort d’Oskar, perd pied peu à peu, et les visions étranges se multiplient autour d’eux.

Incertitude et ambiguïté

Dans sa deuxième partie, Mister Babadook joue avec une finesse rare sur la fameuse ambiguïté à la Todorov entre réel et surnaturel. Au point que même le spectateur aguerri qui connaît par cœur les ficelles du genre se laisse déstabiliser. Toutes ces visions furtives du Babadook, ces dérèglements du réel, existent-ils ailleurs que dans l’esprit d’Amelia, épuisée par les nuits blanches, fragilisée par l’isolement (son mal-être ayant fait fuir progressivement son entourage), perturbée par cette lutte constante avec son fils ? Le film installe alors un sentiment de menace d’autant plus profond que son objet est insaisissable. On ne sait réellement pas, pendant toute cette partie, si l’on est en train de voir un film fantastique ou psychologique, et cette incertitude est plus terrifiante que tous les effets spéciaux du monde. La subtilité d’écriture des personnages comme le jeu ingénieux sur les points de vue, les lumières, les cadrages créent une réelle sensation d’étrangeté, jouant davantage sur une ambiance de cauchemar éveillé que sur des effets rebattus de train fantôme.

Tension et progression

Sur la fin, de plus en plus étouffante, le film pêche un peu par maladresse et l’on sort en partie du récit pendant une dizaine à vingtaine de minutes, ce qui est d’autant plus dommage que toute la progression implacable de la première heure était brillante. La toute fin surprend en parvenant à éviter les deux dénouements classiques et quasi obligatoires de ce type de récit pour en préférer un autre, plus ambigu. Et c’est là, curieusement, que le film commence vraiment. On en sort partagé entre l’envie de le revoir pour décortiquer les moindres détails à la lumière de l’ensemble, et une réelle appréhension de le faire tant la tension psychologique était pesante. En se rejouant certaines scènes, on s’aperçoit que le film, à travers de multiples détails apparemment anodins, raconte en filigrane quelque chose qui nous avait échappé et qui rend le propos encore plus violent. Un peu comme le faisait Les Autres d’Amenabar, merveille d’écriture scénaristique qui ne dévoilait son vrai propos qu’à la deuxième vision.

Acte de naissance

Mister Babadook n’est pas sans défauts et ne sera certainement pas du goût de tout le monde, si l’on en juge par les départs en cours de séance et les fous rires de certains pendant la dernière partie. Mais c’est un premier film impressionnant de maîtrise, profondément dérangeant, et qui joue de manière très habile sur les codes d’un genre pour mieux les détourner, les éviter ou dérouter le spectateur. Pas de ceux qu’on regarde pour s’amuser à se faire peur, mais de ceux qui vous laissent une vraie marque. Un film à déconseiller aux âmes sensibles, mais pas pour les raisons que l’on pourrait croire. Et l’acte de naissance d’une cinéaste à l’univers très personnel, dont on suivra de près les prochaines réalisations.

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publié par le 10/08/14