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publié par Mélanie Fazi le 17/07/12
Fiona Apple
- The idler wheel...
The idler wheel...

Il y a chez Fiona Apple quelque chose d’intimidant. D’un peu effrayant, même. Pas seulement à cause de l’étiquette de petit prodige qu’on lui a collée dès dix-huit ans (même si Tidal paraît aujourd’hui très sage en comparaison des trois albums suivants). Plutôt parce qu’il y a chez elle un talent, une maturité, qui la placent d’emblée hors norme. À partir de Tidal, elle pouvait suivre plusieurs chemins ; elle a systématiquement choisi le plus escarpé, le plus personnel. Abrupt mais passionnant. Fiona Apple ne ressemble à aucune autre « jeune fille au piano », avec tous les clichés un peu fades qu’on peut y accoler. Aucune autre n’a cette voix. Cette noirceur. Cette façon de vous empoigner par le col sans ménagement.

Explorer la face sombre

Il y a ici une noirceur, oui. Une dureté. Une manière d’explorer la face sombre des sentiments humains et des relations amoureuses. C’est souvent la matière première de ses chansons, perceptible même sur Tidal, au détour des paroles de « Criminal » (« It’s a sad sad world/When a girl will break a boy just because she can »). Sur The idler wheel, « Werewolf » est peut-être la chanson la plus emblématique : une histoire ordinaire de rupture difficile où chaque détail fait mouche, empreint d’une sorte de rancœur tranquille (« You are such a super guy/Til the second you get a whiff of me » « But we can still support each other/All we gotta do is avoid each other »). « Jonathan », sur une tonalité similaire, évoque à demi-mots une relation complexe aux accents névrotiques. On se rappelle alors la hargne qui habitait sur l’album précédent l’une de ses chansons les plus mémorables, « Get him back », promesse de vengeance dont la noirceur devenait presque jubilatoire. On frôle souvent le malaise au détour des chansons de The idler wheel. Mais pas celui qu’on éprouverait devant un déballage trop intime. Au contraire, les mots de Fiona Apple frappent souvent juste. Trop juste. Au point de faire vibrer des cordes qu’on ignorait parfois posséder.

Avancer droit

Les chansons de Fiona Apple sont souvent inconfortables, au point que l’on hésite à s’y immerger pleinement. Mais elles sont belles et obsédantes. On y revient toujours malgré soi. Il y a cette voix chaude et grave de chanteuse de jazz, qui impressionnait déjà chez une toute jeune fille et qui a gagné en ampleur depuis quinze ans. Et puis le soin quasi maniaque apporté aux arrangements. La cadence de « Chaperone » aux ruptures de rythme envoûtantes. Les prouesses vocales et les fioritures démentes de l’impressionnant « Left Alone ». D’autres morceaux (« Werewolf », « Periphery ») jouent la carte du dépouillement piano/voix avec une parfaite maîtrise. Et il y a toujours, dans les mélodies, quelque chose qui refuse d’avancer droit et de rentrer dans le rang. Quelque chose de légèrement tordu, d’impossible à redresser, qui est devenu une force autant qu’une signature.

Équilibriste

Sur la toute fin, étonnamment, l’ambiance se fait plus légère : « Hot Knife » est une conclusion splendide et terriblement accrocheuse. Un joli numéro d’équilibriste avec ses chœurs en canon, sa mélodie quasiment a cappella, sa rythmique discrète et bondissante. Une petite merveille dont la légèreté tranche avec ce qui précède ; on émerge soudain de l’eau pour voltiger dans les airs. The idler wheel n’atteint peut-être pas tout à fait les sommets du splendide Extraordinary machine, mais c’est une fois encore un ouvrage de toute beauté, derrière lequel on devine une droiture, une force de volonté, un perfectionnisme qui forcent le respect. Et qui effraient un peu, toujours.

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publié par le 17/07/12
Informations

Sortie : 2012
Label : Epic Records

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