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publié par Mélanie Fazi le 29/01/13
Liesa Van der Aa - "Une histoire personnelle entre ma voix, mon violon et moi"

À l’écoute de sa musique volontiers expérimentale et au vu des quelques éléments biographiques qu’on lui connaît, comme son expérience de comédienne auprès de compagnies de théâtre d’avant-garde, on pourrait s’attendre à rencontrer en Liesa Van der Aa quelqu’un d’intimidant. Mais qu’on la croise en session ou en interview, elle est au contraire d’une gentillesse et d’une simplicité désarmantes, toujours soucieuse de répondre au mieux à nos attentes.

Moins de deux heures après cet entretien, elle montera sur la scène de Mains d’Œuvres pour y donner un concert époustouflant : on l’y verra créer un univers sonore riche et dense en s’accompagnant seulement d’un violon et de pédales d’effets. Peu avant le début de cette troisième soirée du festival Mo’Fo, on part à la recherche d’un coin tranquille où s’isoler à l’écart de la foule et du bruit, afin de profiter au mieux de ce créneau grappillé dans un planning serré. On soupçonne déjà qu’elle nous surprendra beaucoup tout à l’heure, mais on ne sait pas encore à quel point.


On a beaucoup écouté ton album, on t’a filmée en session récemment, mais on ne t’a pas encore vue en live. Est-ce que tu peux nous dire à quoi nous attendre ce soir ? Tu joues seule, avec un groupe ?

Je joue toute seule, pas avec un groupe. Parfois je joue avec des musiciens, des trompettistes, ou parfois seulement des cordes, ou des guitares ou percussions. Mais la base pour moi, c’est de jouer live toute seule avec le son du violon et ma voix, d’expérimenter avec ça. Après, c’est toujours chouette de jouer avec d’autres musiciens, dans des styles différents.

Est-ce que ça change beaucoup selon que tu joues seule ou avec des musiciens ?

C’est différent parce que c’est plus chouette de jouer avec d’autres gens. C’est normal, c’est un peu solitaire de jouer tout le temps seule. C’est aussi quelque chose de très personnel parce que c’est un combat permanent, mais c’est intéressant pour moi, Liesa, en tant que personne. Je crois aussi que je suis une artiste névrosée qui a parfois du mal à travailler avec les autres, mais heureusement c’est en train de changer. Il y a quelques années, ça ne m’intéressait pas de jouer avec d’autres musiciens, parce que c’était une histoire personnelle entre ma voix, mon violon et moi, une recherche vraiment solitaire. Mais heureusement, aujourd’hui, j’ai envie de jouer avec d’autres musiciens.

Troops est un album assez complexe dans ses ambiances et ses constructions. Est-ce difficile à adapter en live ?

En live, c’est différent de l’album. Je ne suis pas singer/songwriter, ça ne fait pas partie de mes talents, mais c’est amusant de jouer avec les versions, d’en avoir cinq, huit ou dix d’une seule chanson… Enregistrer un album, c’est complètement différent parce que tu ne vois rien, il n’y a que l’écoute, alors qu’en live c’est aussi un spectacle pour les yeux, une performance totale. D’un point de vue strictement musical, c’est vraiment chouette de jouer avec des versions différentes, mais c’est aussi important que le style, le son, tous les éléments de l’album soient là en live, dans un univers totalement différent. J’ai tout un univers en tête, l’album, le live, les compositions pour le théâtre ou le cinéma, tout ça forme un monde. Mais avec tous les sons et les effets dont je dispose maintenant, c’est important d’évoluer et de travailler les moments où je suis en scène.

Tu es aussi actrice. Est-ce que ça t’a servi pour jouer sur scène ?

Je ne me sens pas vraiment actrice. Pas du tout. Mon père est acteur, j’aime beaucoup le théâtre et aussi la dramaturgie en musique, le fait de raconter une histoire. Je suis en train de composer un opéra et de créer pour chaque scène une composition dramaturgique, c’est très intéressant de se dire « À ce moment-là il y a un chœur, à ce moment-là le chœur s’arrête, ensuite on commence sur une note aiguë, etc ». Penser la musique en termes d’images, c’est ça qui m’intéresse. Et le théâtre sur scène… je ne crois pas faire ça en musique, mais j’aime l’image d’une fille toute seule capable de créer un orchestre ou des choses de grande ampleur. J’aime beaucoup ce genre de dynamique, sur un plan visuel aussi.

Quand tu composes, tu illustres la dramaturgie de tes chansons par des dessins. Est-ce que tu pourrais envisager de les publier, par exemple dans un album ?

Je ne l’ai encore jamais fait, mais je devrais peut-être. Ce sont des images pleines de couleurs, ce genre de choses. Oui, ça pourrait être intéressant.



Chacune des chansons de Troops est accompagnée d’une vidéo. Tu es fascinée par le multimédia ?

Oui, absolument. Parfois je joue au théâtre, par exemple avec quelqu’un comme Guy Cassiers, qui joue aussi avec la vidéo, qui associe le théâtre à des vidéos, des mots, des livres. J’aime aussi associer la musique à des images, et ça m’intéresse beaucoup de travailler avec différents réalisateurs, car je pars d’une image pour faire de la musique, et ensuite je demande à quelqu’un de créer des images pour l’accompagner. Ça aussi, c’est super intéressant. Mais j’aime aussi l’effet produit quand on voit un film et qu’on remplace la bande-son. C’est toujours intéressant de regarder une même chose de différents points de vue. On peut jouer avec ça dans une bande-son, s’il y a une scène dramatique et qu’on y ajoute une musique idiote, ou de l’opéra… On voit beaucoup ça chez Stanley Kubrick, comme cette scène de viol où une très belle musique apparaît. C’est très intéressant de jouer avec les extrêmes. C’est quelque chose que je commence à peine à découvrir par moi-même.

Est-ce que tu aurais pu réaliser certaines de ces vidéos toi-même ?

Oui, peut-être. Mais ce n’était pas ce que je cherchais à ce moment-là. Mais avec un ami, on parle parfois de faire un film ensemble sur la musique que je suis en train de composer. Pourquoi pas, mais en ce moment je ne me vois pas comme réalisatrice.

En tant qu’auditrice, quel genre de musique t’intéresse ?

J’aime tout... En ce moment j’aime le baroque, peut-être que la semaine prochaine ce sera le metal… Non, le metal, c’est la seule chose que je n’aime pas trop, je ne sais pas pourquoi. Mais la musique classique, le baroque, l’électro, pop, rock… J’aime tout, je veux tout écouter.

Tu es plutôt intéressée par des choses qui vont te surprendre, ou te toucher ?

Je ne sais pas. Pour moi, le plus important, c’est que la musique soit sincère. Si tu fais une musique très commerciale, ça ne va pas me plaire, mais quand je vois quelqu’un faire ce qu’il veut vraiment, je crois que c’est une bonne chose, ça me semble important de ne pas faire de compromis. Peu importe qui tu es, ce que tu préfères, mais pas de compromis. En politique, on doit en faire, mais pas en musique. Ce qui m’intéresse, ça peut être aussi un mouvement… J’aime la musique dramatique et triste. Mais je crois que la base pour moi, c’est la musique classique et baroque. Pour moi ce sont les débuts de la musique. Par exemple, John Dowland, un compositeur du XVIème siècle qui jouait du luth et composait des chansons pop. C’est vraiment le genre de choses qui m’intéresse.

Ça renvoie aussi au fait que tu utilises le violon, plus souvent lié à la musique classique, pour jouer tout autre chose.

Il y a quelques années, j’avais envie de chanter. J’aime chanter, je ne sais pas pourquoi, et j’ai cherché ce que je pouvais faire toute seule. Je ne joue que du violon, et aussi du piano et un peu de batterie, mais le violon est vraiment mon instrument et j’ai cherché ce qui pouvait remplacer la basse ou la batterie, parce qu’à ce moment-là je voulais jouer de la musique pop. J’écoutais beaucoup de pop, de rock, et je voulais faire la même chose mais toute seule, au violon, jouer tous les instruments sur un violon. Aujourd’hui, j’ai d’autres idées. Mais à ce moment-là, j’utilisais uniquement les effets pour remplacer la basse, la batterie, faire tout ça moi-même, toute seule.

Est-ce que les limites liées au violon sont pour toi une frustration ou une motivation ?

Les deux. C’est une frustration, absolument, mais je crois que la frustration et les limites sont aussi très importantes. Par exemple pour Troops, on s’est dit avec Boris [Wilsdorf, producteur de l’album] : pas de batterie, tout sera au violon et parfois au piano. Par moments je lui disais « Non, on a besoin de batterie ici ! » et Boris me répondait « Non, c’est un dogme, on ne fait pas ça. » C’était super de tout explorer à l’intérieur de cette petite boîte, d’essayer des choses dans cet environnement limité. Donc je crois que c’est une bonne chose d’avoir des limites. Sauf si ça nous rend dingue.

Tu fais des reprises assez surprenantes : « Nightclubbing » d’Iggy Pop, « Rid of me » de PJ Harvey. Comment abordes-tu l’exercice ?

C’est un peu la même réponse qu’à la question d’avant. Je commence par des limites. Je prends ce que j’ai devant moi et je joue avec des éléments musicaux, je les accentue ou je les réduis. En ce moment je fais une reprise de Lou Reed, « Vanishing Act », j’ai pris des éléments, des mélodies, pour les utiliser dans d’autres parties. C’était super de jouer avec des éléments musicaux et d’en faire quelque chose de complètement différent. C’est ça l’astuce, c’est ce que j’essaie de faire.

Pour finir, tu peux nous parler de cet opéra que tu es en train de composer ?

C’est une composition pour FC Bergman, un jeune collectif de théâtre belge, ainsi que pour le Toneelhuis, la plus grande maison du théâtre de Belgique. C’est l’histoire de Renart qu’on va réécrire pour des adultes. Ce sera interprété sur scène par l’ensemble Kaleidoskop de Berlin, ils sont super, un ensemble vraiment expérimental mais aussi baroque et classique, ils sont comme moi mais multipliée par dix. Dans ma tête, je crois que c’est un mélange de Monteverdi et de David Lynch. Et aussi de baroque, ce genre de choses. C’est un projet de grande ampleur et beaucoup de pays ont acheté le spectacle pour de grands festivals alors que la musique n’existe pas encore. Donc j’ai très peur, mais en même temps je m’amuse beaucoup. Si au bout du chemin j’ai l’impression d’avoir fait ce que j’avais en tête, que ça me ressemble vraiment, je crois que je serai contente. Mais le fait de simplement composer, de ne pas jouer, de ne pas chanter, c’est un peu plus reposant d’être en coulisse plutôt que sur scène. C’est aussi quelque chose de très agréable à explorer.

 

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publié par le 29/01/13
Derniers commentaires
Franck - le 30/07/13 à 17:03
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Superbe interview ! Merci de nous faire partager ces groupes et personnes atypiques ! :)