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publié par Mélanie Fazi le 15/02/13
Maissiat - "Des souvenirs de fins de nuit"

C’est dans l’imposant décor du Café Carmen de Pigalle que le rendez-vous est fixé pour cette interview, au milieu des tentures et sculptures qui accueilleront le concert privé de Maissiat quelques heures plus tard. Décor qui rend un peu plus intimidant ce moment toujours particulier de la rencontre avec quelqu’un dont la musique nous a touché. Mais les présentations faites, on s’installe tranquillement dans la conversation comme dans les méandres accueillants de Tropiques, on y devine un peu d’Amandine derrière Maissiat.

On a aimé écouter ces chansons en boucle, on aime tout autant ce qu’on découvre derrière ce coin de voile soulevé discrètement. On aimera d’autant plus redécouvrir « Soûle » ou « Jaguar » dans ce décor intimiste quelques heures plus tard et repartir le pas léger et le sourire aux lèvres.

Pour les gens qui te découvrent, peux-tu présenter ton parcours avant cet album ?

J’ai toujours eu envie de faire de la musique, depuis toute petite. Je viens de Lyon, j’ai eu deux groupes amateurs, on va dire. Et puis en 2005 j’ai rencontré les musiciennes de Subway et on a passé quatre ans à faire de la musique, à en vivre, faire un album, partir en tournée… En 2009, j’ai quitté le groupe, et puis depuis 2009 j’ai travaillé sur ce premier album solo.

Tu as une formation classique au piano à la base ?

J’ai pris des cours, alors oui, plutôt classique, mais je n’ai pas fait de conservatoire, pas de choses comme ça, c’était plutôt à titre de loisir. J’ai fait ça de onze à quatorze ans, et puis j’ai arrêté. J’avais un piano à la maison, et du coup j’ai continué à chercher des accords et à faire des chansons, très vite, aussi, quand j’étais ado. Donc j’ai continué avec le piano, je n’ai jamais lâché, et puis après il y a eu la guitare aussi qui est arrivée. Mais pas de formation « classique » particulière.

Tu composes au piano ?

Oui, je compose au piano. Ça m’arrive parfois de composer à la guitare. Ça dépend de l’humeur, de l’envie. Ce n’est pas non plus facile d’avoir un piano tout le temps avec soi, c’est plus facile d’avoir une guitare. Mais principalement, oui, beaucoup de mélodies au clavier. Je me suis aussi servie d’un clavier numérique, un piano numérique que je branche à mon ordinateur, et à partir de ce moment-là je peux faire un peu ce que je veux : de fausses cordes, des faux cuivres, beaucoup d’arrangements en fait. J’ai commencé à travailler toute seule sur l’album et j’ai fait toute une panoplie d’arrangements à l’aide d’un clavier, c’est aussi pour ça que j’ai beaucoup joué sur le clavier.

Question classique, mais comment écris-tu tes chansons ? Notamment, les textes sont assez marquants, on se demande forcément d’où ils sont partis.

Ça vient d’histoires, intimes, et puis parfois aussi des sujets qui me concernent et qui sont des sujets de société, je pense à « La fabrique des fauves » notamment… Ça faisait longtemps que j’avais envie d’écrire quelque chose sur la jungle dans laquelle on vit, en tout cas c’est comme ça que je le ressens. Et puis je lisais un article sur la réforme de la psychiatrie dans les Inrocks, et il y avait un patient qui était interviewé et qui disait que finalement, dans ce système-là, on fabrique des fauves. J’ai vu ça et je me suis dit « C’est exactement ça ». C’était la symbolique que je cherchais, et donc la chanson en a découlé. Ça vient de ce qui me nourrit, de ce que je vois, de ce que je vis.

À l’écoute de l’album, on est tellement marqué par le travail sur les textes, les sonorités, qu’on se demande s’ils partent parfois de jeux de mots.

Ça me vient assez naturellement, enfin l’amorce d’une chanson vient de manière assez spontanée. Ça vient souvent quand je suis en mouvement, quand je marche, par exemple, hop, j’ai une mélodie ou un début de phrase qui vient, une rythmique, c’est toujours très rythmique. Donc ça commence comme ça, après il y a quelque chose d’assez instantané dans lequel j’ai une première ébauche, et puis soit c’est d’un trait, et tant mieux, soit je retravaille ensuite le texte. Ça dépend des fois. Mais « jeux de mots »… En tout cas, ça dépend des titres mais parfois l’écriture est prise comme un jeu. Il faut aussi y prendre plaisir, s’amuser à… c’est peut-être un peu bateau de dire « jouer avec les mots », mais en tout cas s’en servir comme matière et voir ce qu’on peut en faire, rythmiquement. Je ne parle pas forcément d’un tempo rapide, ce n’est pas ça, mais que ça sonne, que ça participe aussi à la mélodie, il n’y a pas de mélodie sans rythme.

Je prends souvent aussi le train par exemple, et il y a ce mouvement – quand on est en mouvement on est dans un état particulier qui est souvent propice à ça. Du coup la machine doit se mettre en marche, je n’en sais rien, parce qu’on ne provoque pas le moment où la mélodie arrive, mais je pense qu’il y a quelque chose comme ça.

Ça semble cohérent avec cette sorte de rythmique que tu imprimes aux mots, qui sont une musique à leur tour, ce n’est pas juste un texte plaqué sur une mélodie.

Non, ça va de pair, et c’est tout le plaisir qu’on prend à écrire des chansons. On a la musique, on a les paroles, et puis ensuite il faut que les deux se complètent, qu’une partie ne fasse pas de l’ombre à l’autre, c’est aussi ça le jeu. Et le challenge, parfois.

En chroniquant l’album j’ai été tentée de décrire ton écriture comme poétique, au sens littéral du terme. Notamment pour « Jaguar » qui impressionne par tout le jeu sur les images et les sonorités.

J’ai beaucoup d’images en tête sur le disque, et sur « Jaguar » aussi, je suis d’accord, parce qu’au moment où j’ai écrit le morceau, il y avait quelque chose de lié aux éléments. C’était en pleine nuit, je me rappelle bien, j’étais dans le sud, en plein été avec les grillons sur le coup des deux heures du matin, une nuit noire avec ce « tapis d’étoiles », je ne l’ai pas inventé, c’était vraiment ça, et du coup d’avoir aussi la chance à un moment donné de baigner dans les éléments et de se laisser aller et d’y plonger à fond, de se laisser bercer par ça, et puis ça donne ce que ça donne.

Mais du coup il y a des images extraordinaires et surprenantes, ce refrain notamment…

Après, dans les textes et dans certains titres, il y a une magie aussi, comme dans des instants. Il y a quelque chose qui se passe. Et cette nuit-là, il s’est passé quelque chose.

Dans cet album, il y a une forme de mélancolie mais en même temps une sorte de légèreté. Par exemple « Le départ » aurait pu être plombant, mais il y a au contraire cette légèreté, et puis ce vouvoiement qui tient les émotions à distance.

Le vouvoiement, c’est une forme de langage que j’affectionne, non pas parce qu’elle me tient à distance et qu’elle me protège, mais parce que je la trouve assez belle, élégante. Je trouve qu’elle protège aussi la personne à qui je m’adresse, elle ne protège pas que moi. C’est pour ça aussi que tout à l’heure je t’ai dit « On se dit tu, on se dit vous ? », c’est une forme particulière et j’ai souvent tendance dans les chansons à dire vous. Mais encore une fois, c’est aussi un jeu d’écriture, c’est une attention particulière.

Et pour en revenir à cette légèreté – même si ce n’est peut-être pas le bon terme…

Je comprends bien qu’une chanson comme « Le départ », effectivement, ça aurait pu être un peu lourd, ça aurait pu être dur, on aurait pu aller dans le pathos. Mais c’est un peu « ce n’est pas la peine d’en rajouter ». Je crois qu’à un moment donné il faut faire attention à ça. Mais ça s’est fait naturellement, je ne me suis pas dit « Attention, n’en rajoute pas, mon Dieu ! ». Non, il y avait une mélancolie – mais pas que, dans cette chanson – mais aussi quelque chose qui a trait à la douceur.

Ce qui est frappant, c’est que malgré cette mélancolie, on ressent presque une forme d’euphorie à l’écoute de cet album.

Il y a aussi beaucoup d’ivresses, au pluriel, je crois. Alors euphorie, ivresse, tout ça, je ne sais pas, mais un état particulier, un état un peu second, quelque chose qui est plus en contraste.

« Soûle » en particulier est bien nommée, elle a vraiment ce côté grisant.

Pareil, ce sont des souvenirs de fins de nuit. Sans mauvais jeu de mots puisqu’il y a un titre dans l’album qui s’appelle « Les fins de nuit », ce qui n’a pas de rapport pour le coup. Mais voilà, ce sont des états particuliers dans lesquels on est parfois.

Pourquoi avoir choisi d’utiliser ton nom de famille comme nom de scène ?

Je réfléchissais à un pseudo pendant les premiers temps, et puis je ne trouvais rien de très convaincant. Donc finalement j’ai repensé au nom de famille, et des gens proches de moi m’ont dit « Mais pourquoi tu ne gardes pas ton nom, tout simplement ? » Mais son nom, c’est particulier, je pense qu’on ne l’entend plus au bout d’un moment. On s’appelle comme ça, on nous appelle comme ça tous les jours, et c’est un mot, finalement, qu’on n’entend plus. Quand on m’a dit « Maissiat, mais si, ça sonne en plus », j’ai répondu (d’un air dubitatif) « Maissiat, Maissiat, ça sonne… » Et puis « Amandine Maissiat », je trouvais ça trop long, j’avais envie d’un seul élément. C’est plutôt venu comme ça.

Avant cet album, tu avais sorti un EP dont tous les titres sont repris ici sauf un.

Voilà, qui s’appelle « Iris » et que je joue parfois sur scène. J’aime beaucoup cette chanson. Elle n’est pas sur l’album parce que c’est toujours difficile de faire un choix dans les titres. J’avais envie que le disque dans son entier raconte quelque chose. Et qu’on l’entende et qu’on l’écoute. (D’un air amusé :) C’est pour ça que j’ai fait un disque, pour qu’il soit écouté, quand même. Je pense que c’est important qu’on rentre dans quelque chose, qu’on y voyage, et puis qu’on en ressorte, et il faut que le propos reste fluide, limpide, il ne faut pas qu’on ait l’impression d’en ressortir comme on sortirait de table en ayant trop mangé. Du coup, à la dernière écoute, quand il a fallu choisir, on a enlevé deux titres. Il devait y en avoir deux de plus, et en réécoutant on s’est dit « Là, c’est bon, on n’y touche plus ». Ce qui ne m’empêche pas de jouer d’autres titres sur scène.

« Iris » est magnifique, mais a une ambiance tellement forte qu’il aurait risqué de ne pas s’intégrer sur l’album.

C’est pour ça que je te dis ça. Moi aussi c’est une chanson que j’aime beaucoup, et j’adore la chanter, j’adore dire ce texte qui a quelque chose de parlé, j’aime beaucoup les textes parlés. Mais il y avait déjà « Jaguar », qui a quelque chose d’assez parlé. Pour que tout s’harmonise bien, celui-ci, il fallait faire le choix de le laisser.

Les morceaux du EP ont été repris tels quels. Est-ce que ces morceaux et le reste de l’album sont issus d’une seule session ?

Oui, sauf pour un titre, « Les fins de nuit », qu’on a enregistré en tout dernier et qui fait partie des nouveaux titres, il ne devait pas être sur l’album au départ. On avait tout enregistré en même temps avec Marc Chouarain, qui est pianiste, et Denis Benarrosh, batteur, on a enregistré ça, on a pris cinq titres et on a sorti le EP il y a à peu près un an. Et ensuite, on avait les autres titres également – on a tout remixé par contre, et du coup on a eu quelque chose d’homogène. Mais on a retouché les mix entre le EP et l’album.

Est-ce qu’il était trop tôt à l’époque pour sortir un album ? Ou est-ce que tout n’était pas prêt ?

Tous les titres étaient là, tous les titres étaient mixés, donc on aurait pu le faire, mais c’était bien d’arriver d’abord avec un premier volet, et puis de se présenter. C’est mon premier album solo, j’avais eu trois ans de vacance, au singulier. Le EP, ça a été une manière de revenir, de dire « Voilà, je m’appelle Maissiat et j’arrive bientôt avec un disque ». Et de refaire des premiers concerts aussi.

Tu as travaillé avec Katel sur cet album, on t’a vue sur scène avec Fiodor Dream Dog, tu as aussi enregistré une chanson avec Helluvah. Est-ce que tu fonctionnes beaucoup dans ce genre de liens et de collaborations avec d’autres artistes ?

En trois ans j’ai rencontré des musiciens, des musiciennes, dont certains et certaines avec qui j’ai eu la chance de travailler et de jouer aussi, puisque Fiodor c’est Tatiana Mladenovitch, on a joué ensemble et je suis allée chanter dans son groupe. Il y a eu Vale Poher aussi, qui fait partie de Mensch, qui a co-écrit « Tropiques » d’ailleurs, et puis Katel qui a réalisé l’album. Ce sont des rencontres importantes.

On a surtout l’impression de vous retrouver souvent sur les projets les unes des autres…

Oui, c’est vrai. Quand on le fait, on ne s’en aperçoit pas forcément, mais avec un peu de recul et un peu de temps qui passe, il y a quelques mois on se disait « Mais c’est très agréable, ça ». Parce que j’ai l’impression que tout le monde fait un peu de la musique de son côté, et finalement il y a très peu de moments où on arrive à se retrouver, à échanger et même simplement à se rendre service, juste ça, c’est-à-dire chercher un endroit pour répéter, « Ah ben tiens, j’ai un endroit, là c’est libre aujourd’hui, si tu veux tu peux le prendre », « Si tu as besoin d’un instrument, d’un ampli, de matériel », des choses comme ça, d’être au service les uns des autres. Et après aussi, musicalement… quand je vais faire des chœurs dans Fiodor, qui n’est musicalement pas du tout mon univers, je trouve ça charmant, c’est très agréable de voir qu’il y a un environnement, une famille qui se construit. Ça fait du bien.

De l’extérieur, oui, ça donne l’impression d’une famille.

Voilà. Mais famille dans le bon sens du terme, parce qu’une famille ça peut être parfois un peu lourd aussi à porter. Mais celle qu’on a choisie, c’est bien.

Tu as participé récemment à la soirée Musicorama avec Dominique A. Comment est-ce que c’est arrivé ?

C’était à la demande de Dominique, qui avait écouté le EP, qui a aimé ces cinq premiers titres et qui me l’a dit. J’ai fait des premières parties aussi avec lui, et puis il m’a proposé de venir chanter un titre pour Musicorama au mois de décembre. Il m’a dit « Est-ce que tu veux bien chanter « Le départ », est-ce que tu veux bien que je le chante avec toi ? » Quand Dominique A vient te demander ça… C’est super, ça fait partie des rencontres et déjà des souvenirs qui comptent vraiment. Je trouve que c’est rare d’avoir des joies simples, comme ça. Je me rappelle quand il m’a proposé ça, j’avais un sourire jusqu’aux oreilles, presque une joie proche de celle de l’enfant, une certaine innocence. Et je trouve qu’il n’y a plus beaucoup de place pour ça quand tu portes un projet, il y a beaucoup de choses à construire, un entourage à créer, ce n’est pas simple de sortir un album. Et à côté de ça, il y a quand même des réjouissances très agréables, et ça en a fait partie.

Quel souvenir est-ce que tu gardes de cette soirée ?

Des rencontres, puisqu’on était une dizaine d’artistes à être invités par Dominique, et ce que j’en retire… On dit souvent « Montre-moi tes amis, je te dirai qui tu es », et j’ai eu l’impression d’arriver sans être… je ne dirai pas « en danger » parce que c’est un peu fort, mais on sait où on met les pieds, on sait à qui on a affaire, et on sait que ce sont des gens bien. Et ça, tout de suite, ça se sent, tu n’as pas besoin de bien connaître les gens pour le sentir. En même temps, quand on connaît un peu le personnage de Dominique A, on a vite fait de s’apercevoir qu’on est tranquille.

Quand on sort un premier album, il y a toujours des comparaisons. On a cité à ton sujet Bashung, Daho ou encore Françoise Hardy. Est-ce que tu te reconnais dans ces références ?

Oui, bien sûr. Ce sont des voix, des musiques que j’écoute, ces trois références en font partie, donc ça ne m’étonne pas. Après, j’aime les trois donc je le prends très bien, je n’ai aucun souci avec ça. Françoise Hardy, j’ai écouté un de ses albums qui date de 1980 qui s’appelle Gin tonic, il m’est même arrivé de reprendre le titre sur scène. Daho, j’adore, et Bashung, mes respects.

Est-ce que tu penses qu’il y a un risque d’enfermement à se retrouver étiqueté « chanson française » ? En France, entre le rock, la chanson française, on ne sait jamais très bien comment classer les artistes.

Oui, on ne sait jamais trop quoi dire sur quoi. Il y a trois tableaux : chanson française, pop française et variété française. On a toujours le français, quand même… Pop, je trouve ça plutôt cohérent. La chanson française, je n’ai pas l’impression de me reconnaître vraiment là-dedans. En tout cas ce n’est pas l’imagerie que j’en ai. Mais je fais des chansons, je chante en français, alors forcément à un moment donné c’est compliqué. Je remarque qu’il y a un grand besoin de s’accrocher à des référents. Immédiatement, quand quelqu’un écoute, ça lui fait tout de suite penser à une voix, ou à un autre artiste, ou à un genre particulier. Je crois que ça rassure. On doit avoir un grand besoin d’être rassuré, je pense.

Pour finir, une tournée est prévue après la sortie de l’album ?

Il y a des premières parties de Lou Doillon, une à Caen le 14 février, une à Lille le 23. Il y a aussi une première partie avec Cali, et puis encore une ou deux dates à Paris en février, des showcases dans des endroits un peu originaux, qui sortent un peu du cadre, ça fait du bien. Et puis le 4 avril au Café de la Danse, qui sera un peu le point d’orgue.

 

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publié par le 15/02/13