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publié par Mélanie Fazi le 23/04/13
Nadine Shah
- Aching Bones EP + Dreary Town EP
Aching Bones EP + Dreary Town EP

De Nadine Shah, on sait encore peu de choses mais on attend déjà beaucoup. Chanteuse britannique d’origine norvégienne et pakistanaise, nous apprend sa bio officielle ; interprète de jazz dans un club de Londres à l’adolescence, et auteur de deux premiers EPs assez ébouriffants, encensés par la presse britannique qui l’a comparée à PJ Harvey (forcément) ou encore à Nick Cave. La référence à Nick Cave peut surprendre à l’écoute de ces six titres, qui ne l’évoquent pas spécialement sur un plan musical. Sans doute peut-on établir un vague parallèle au niveau de la noirceur quasi gothique des ambiances et de la maîtrise des effets narratifs. Le magnifique « Dreary Town » est exemplaire à cet égard, dans la façon dont le chant et les arrangements se complètent : la musique pose l’ambiance, la voix raconte l’histoire. Dès les premiers mots que la voix teinte de nostalgie et de regret (« We were down and out in London/Sharing beds and sharing money »), on pressent déjà que cette histoire ne se terminera pas bien.

Double face

Sortis à quelques mois d’écart, ces deux EPs de trois titres chacun pourraient représenter les deux faces d’une même pièce. Aching Bones, le premier, en serait la face la plus sombre et la plus inquiétante. Dreary Town en serait la plus lyrique, la plus émouvante. Côté sombre, on est frappé dès la première écoute par « Are you with me » et son rythme de valse angoissante, martelé au clavier avec une glaçante économie de moyens. Côté mélancolique, ce « Dreary Town » déjà évoqué, avec ses superbes envolées vocales et cette capacité à réveiller en vous des émotions enfouies. Ou encore la triste complainte « Bobby Heron », conte cruel évoquant un jeune homme noyé en mer.

Le deuxième EP se conclut sur un défi de taille : ce n’est pas un choix anodin de se colleter à « Cry me a river », qui a connu son lot de reprises fades et impersonnelles. Ici, la chanson suscite dès les premières notes un malaise qu’on ne sait pas trop à quoi imputer, aux vocalises théâtrales ou à ce motif hypnotique au piano qui imprime une note inquiétante à l’ensemble. Toujours est-il que lors des écoutes répétées de Dreary Town, on se surprend à se hérisser chaque fois que commence cette reprise. Si elle paraît classique au premier abord, elle ne ressemble finalement à aucune autre qu’on connaisse, de par cet effet subtil mais assez surprenant.

Poisson dans l’eau

On ne saurait chroniquer la musique de Nadine Shah sans s’attarder sur sa voix. C’est elle qui nous happe dès la première écoute et qui insuffle à ces six titres toute une gamme d’émotions contrastées. Plutôt qu’à PJ Harvey, c’est à Phoebe Killdeer qu’on est tenté de la comparer : une belle voix grave et ample taillée pour le jazz, mais assez puissante pour se couler dans un format rock et s’y trouver comme un poisson dans l’eau. Sa maîtrise des nuances impressionne ; elle est pour beaucoup dans l’aspect théâtral et narratif de ces six chansons. En témoigne le final de « Cry me a river » où elle frôle constamment l’excès sans jamais y tomber.

Six titres, c’est encore peu pour se faire un avis définitif, mais assez pour acquérir la certitude de tenir là une vraie pépite. Un album est en préparation ; si l’ensemble est de cet acabit, il ne passera pas inaperçu. En attendant, on tient peut-être déjà là quelques-unes des chansons les plus mémorables de l’année.

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publié par le 23/04/13