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publié par Mélanie Fazi le 31/01/13
Robi - "La musicalité habite tout ce que j'écris"

Nous avions déjà interviewé Robi il y a quelques mois, en binôme avec le bassiste et co-compositeur Jeff Hallam. Et puis cet album qui n’était encore pour nous qu’une abstraction en septembre nous est tombé dessus comme une évidence. Au fil des écoutes de L’hiver et la joie, on se prenait à rêver d’un nouvel entretien pour percer les secrets de cette musique qui vous saisit à bras-le-corps, de cette écriture incisive, obsessionnelle et obsédante. Un café parisien tranquille, une belle matinée d’hiver, on laisse se dérouler une longue et passionnante conversation sans voir le temps passer.

Avant cet album, vous aviez sorti un EP en 2011. Est-ce une expérience, une approche très différente ?

Effectivement, on n’a pas du tout pensé la sortie de l’album de la même manière que le EP, mais pas seulement à cause du format. C’est aussi parce que le EP est sorti d’une façon évidemment plus confidentielle, on n’était nulle part et personne et personne ne nous attendait, d’autant qu’on avait tenu le projet relativement secret jusqu’à la sortie du EP, et on a été nous-mêmes surpris de l’accueil qu’il a reçu. Pour ce qui était de l’album, les choses se sont passées différemment parce qu’on était un peu plus attendus, et parce que suite à ce qui s’était passé sur le EP on avait une pression supplémentaire. Et puis il est vrai que les formats ne se défendent pas de la même manière, à mon sens avec un certain regret puisque si je devais m’écouter je sortirais des EPs tous les huit mois plutôt qu’un album tous les deux ans. Mais on est encore dans un système où, autant pour ce qui est des médias que même peut-être du public, un album n’est pas accueilli et attendu de la même manière qu’un EP.

Est-ce que l’expérience du EP vous avait appris des choses, au niveau de l’enregistrement par exemple, qui ont servi sur l’album ?

Au niveau de l’enregistrement, pas vraiment, si ce n’est qu’on est revenus d’une certaine manière au modus operandi du EP, à savoir qu’il avait été quasi dans sa totalité enregistré avec Jeff en studio et qu’on avait juste fait quelques ajouts dans un deuxième temps en studio avec Boris Boublil, avec Csaba Palotaï, mais sur une base qui était déjà solide et quasi définitive. Pour ce qui est de l’album, on avait préparé des maquettes qu’on a réenregistrées en studio, pour finalement revenir à ces maquettes en se servant de quelques éléments enregistrés en studio pour les enrichir. Donc là où on n’a pas appris du EP, c’est qu’on a imaginé une autre façon de faire les choses pour finalement revenir à cette méthode d’enregistrement qui nous ressemble davantage.

Lors de l’interview précédente, on avait parlé de la construction des morceaux mais pas de l’écriture des textes. Comment écris-tu tes paroles ? Est-ce que tu pars d’une phrase ?

J’en ai déjà parlé en interview, j’ai une façon d’écrire et de composer qui est un peu particulière ou singulière, à savoir qu’elle se fait toujours en mouvement et toujours dans la marche, et que les mots et la mélodie sont pour moi absolument indissociables l’un de l’autre. C’est un unique instant qui accouche et des mots et de la mélodie, et effectivement, si je dois vraiment synthétiser la façon dont je compose, je dirais que je pars souvent d’une formule ou d’une expression, d’une association de mots qui m’aura marquée, et qu’autour de ça vont se décliner des couplets ou des refrains. Je dirais qu’essentiellement je pars souvent des refrains et non pas l’inverse. Refrains qui, comme tu l’auras remarqué, sont souvent très répétitifs et scandés.

Tu as publié un livre pour enfants. Est-ce que tu ne conçois l’écriture qu’en musique ou est-ce que tu as une attirance pour les mots en général ?

J’ai comme beaucoup d’entre nous la tentation d’autres formats d’écriture, et j’ai commencé des tentatives de romans qui en sont restées pour la plupart à la moitié du premier chapitre. Je crois que d’une part le format court est un format qui me va particulièrement, je ne suis pas quelqu’un qui a cette vision sur la longueur, je suis plus dans l’instantané. Et d’autre part, la musicalité habite vraiment tout ce que j’écris, tous les mots que j’ai dans la tête. Tu parles d’un livre pour enfants, il se trouve que c’est une chanson au départ. C’est une chanson que mon éditrice aimait beaucoup et dont elle estimait qu’elle pouvait fonctionner sans musique, et dont elle a fait un livre pour enfants.

En la reprenant telle quelle ?

On a ajouté quelques couplets, mais c’est quasi tel quel.

Tes textes frappent par leur impact immédiat et leur côté très épuré et très précis en même temps. Est-ce que tu les retravailles beaucoup à la recherche du mot juste ?

En tout cas je ne travaille pas d’une façon classique, à savoir que je ne pose pas mes textes à l’écrit, je ne raye pas, je ne barre pas, je ne cherche pas comme ça, je cherche vraiment dans ma tête. Et comme je ne note rien jusqu’à ce que j’aie l’impression que la chanson soit terminée dans ma tête, si je ne me souviens pas le lendemain de ce qui m’est venu la veille, c’est à mon sens que ça ne valait pas le coup d’être gardé. L’épure se fait comme ça finalement, ce n’est pas réellement un travail volontaire, c’est un travail par le vide qui se crée tout seul. Ce qui reste vaut le coup d’exister et ce qui ne reste pas, non.

Est-il plus difficile d’aller vers la simplicité et la concision ? Comme par exemple dans les textes de « Où suis-je » ou « Ma route » qui poussent la démarche à l’extrême.

Ce qui a été très difficile pour moi, c’était de me l’autoriser. Pendant très longtemps, j’ai écrit justement d’une façon plus scolaire ou plus arbitraire en cherchant les mots justes. Et finalement, je ne me départissais jamais d’une forme de complexité terrible dans laquelle je ne me retrouvais pas du tout. En m’autorisant cette forme d’immédiateté et de simplicité – ce qui a mis très longtemps, plus de dix ans – la question ne s’est plus posée. Je ne cherche plus à bien écrire. Je cherche à être juste par rapport à une forme d’émotion, par rapport à une forme de musicalité, je cherche à être juste par rapport à mon propos ou à ce que j’essaie de mettre en chair. Mais j’ai renoncé à me poser la question de savoir si c’était bien ou mal écrit. Et ça a été libérateur. Du coup, je te dirais qu’à la fois c’est très difficile de faire simple, en tout cas ça l’a été pour moi puisque ça a nécessité dix ans de lâchage de bagages progressif, de références littéraires, pour arriver à n’être que moi – et en même temps c’est extrêmement simple à partir du moment où on l’accepte comme tel, où on s’accepte comme tel. Je ne serai jamais tous les grands auteurs que je vénère, je ne serai jamais que moi, et être moi c’est cette forme de simplicité-là, cette forme d’immédiateté-là, c’est mon écriture.

C’est peut-être quelque chose de plus facile à obtenir en anglais qu’en français. Du coup, quand on parvient à obtenir cet effet-là comme par exemple dans le texte de « Ma route », c’est d’autant plus impressionnant.

À partir du moment où on arrête d’avoir peur de la répétition, je crois aussi qu’on se libère de beaucoup de choses. Moi, j’aime cette forme de répétition pour de multiples raisons, parce que musicalement et en termes de sonorités je trouve ça passionnant, parce que la répétition nous amène aussi à décharner le mot de son sens premier, ou en tout cas par finir à arriver à une écorce… Ça nous est arrivé à tous de répéter un mot plusieurs fois jusqu’à finir par ne plus savoir ce qu’il veut dire. Ou par exemple, a contrario, entendre un mot qu’on connaît par cœur et avoir l’impression qu’on l’entend pour la première fois, et d’un seul coup, qu’il nous paraisse neuf et étrange. Moi, c’est ce qui m’intéresse dans la répétition. Après, il se trouve que « Ma route » est une chanson qui parle en l’occurrence de la répétition, qui parle du quotidien, des jours qui se succèdent, toujours les mêmes, avec ces obligations qui sont les nôtres d’être vivants, à savoir manger, dormir, et la sensation d’absurdité de devoir refaire son lit tous les jours en se demandant à quoi ça sert, et avec une mise en exergue, si on va plus loin, du sens de la vie : à quoi sert tout ça, à quoi ça sert d’aimer puisque ça finit toujours par s’arrêter, quel est le sens de tout ça ? Donc effectivement, la répétition se justifiait dans le propos même de la chanson. Pour ce qui est d’« Où suis-je », c’est aussi la même chose, c’est une interrogation sur le sens de la vie et cette éternelle question qui nous habite dans la joie et dans le malheur, à savoir : mais pourquoi ? Pourquoi tout ça ? C’est vrai que ça traverse tout l’album, parce que ce sont des questions qui m’habitent en permanence.

Tu parlais du temps qu’il t’avait fallu pour apprendre à écrire autrement. Sur combien de temps s’étale l’écriture des chansons de l’album ?

C’est une question à laquelle j’ai beaucoup de mal à répondre. Je ne m’arrête pas vraiment de composer, un album étant une espèce de photographie d’un instant T avec un certain nombre de morceaux qu’on a dans sa besace. Là, je suis d’ores et déjà en train de composer l’album suivant, mais ce n’est pas la réalité. La réalité, c’est que je n’arrête jamais de composer. On est obligé de donner un point de départ et un point de terminaison pour cette photographie-là que représente un album, mais ça n’a pas grand sens pour moi. Pour moi chaque chanson est un instant T, et dans la mesure où je n’arrête jamais de composer, après je garde ou je ne garde pas, mais il y a des morceaux qui ont deux ans et d’autres qui sont beaucoup plus récents.

La question était aussi de savoir si tu sentais une différence entre des morceaux plus anciens et des plus récents.

Oui, je sens une différence, mais je vais la sentir a posteriori quand l’album est terminé, quand d’un seul coup, du fait de son enregistrement et de son existence hors de moi-même, il devient audible aussi pour moi et devient un objet qui ne m’appartient plus et que je peux potentiellement analyser. Mais sur l’instant, je ne suis pas du tout dans l’exégèse, je ne me regarde pas écrire et je ne me regarde pas composer. Et je pense que c’est la seule solution, moi qui me regarde en permanence tout faire, qui suis dans l’analyse et qui suis extrêmement cérébrale, la seule façon que j’aie trouvée pour m’autoriser à composer, c’est de ne surtout pas me poser la question de ce que je suis en train de faire. Et donc, c’est un peu contradictoire parce qu’effectivement en interview on te demande d’avoir ce recul-là, un recul que je m’interdis parce que chez moi il est complètement tétanisant. Si je commence à réfléchir à ce que je fais, pourquoi je le fais, par rapport à l’époque, par rapport à ce que font les autres, par rapport à mes références, je ne fais plus rien. J’ai déjà du mal à me lever le matin quand j’ai le malheur de me dire que tout ça s’arrêtera un jour, alors faire de la musique…

Y a-t-il des artistes que tu admires spécifiquement pour l’écriture des textes ?

Mon Dieu, tellement… Il y en a tellement, et qui ont des écritures formelles ou informelles fondamentalement différentes. Je suis vraiment arrivée à la musique par le texte et la musicalité du texte, mais ça va être autant la poésie que les chansonniers. L’écriture d’un Brassens qui est une écriture de récit avec un début, un milieu et une fin, une morale, une contre-morale ou une « amorale » – c’est une écriture qui m’a fascinée pendant longtemps et vers laquelle j’ai d’ailleurs essayé de tendre pendant très longtemps, jusqu’à m’apercevoir que ce n’était pas du tout mon mécanisme de pensée. L’écriture de Brel, l’écriture de Ferré qui est une écriture plus étrange, beaucoup plus libre, beaucoup plus lyrique, l’écriture, oui, me fascine en ce qu’elle a de musical. Il y en a tellement, des artistes, et des artistes d’aujourd’hui, l’écriture d’un Jean-Louis Murat avec son espèce de pensée magique, de liberté incroyable, cette capacité à fournir des images qui viennent se succéder les unes aux autres et décrire une espèce de tableau, je me le représente comme un tableau du XVIème siècle avec des milliards de détails, avec autant de symboles ésotériques que de symboles païens. Voilà, l’écriture de Dominique A, évidemment, une écriture qui m’a secouée quand je l’ai découvert assez tardivement vers dix-huit ou vingt ans, je ne sais plus exactement… Je serais bien incapable de faire la liste des auteurs qui me fascinent, mais tellement d’autres. L’écriture de Sing Sing, de Arlt, est une écriture que je trouve magique. Je suis fascinée par l’écriture des uns et des autres. Et je reste une fan aussi de mes contemporains. Après, j’essaie vraiment de m’en abstraire pour essayer de ne pas me comparer et de ne pas tenter d’être celle que je ne suis pas.

Tu as eu un autre projet avant celui-ci. Est-ce que tu peux nous en parler ?

Je peux, après justement ce projet qui a été protéiforme, puisqu’il a connu plusieurs périodes au fur et à mesure des rencontres, c’est un projet d’une part sur lequel je n’étais « que » auteur et pas compositeur – ne m’autorisant pas à faire part des mélodies qui me venaient naturellement sur mes textes parce que, ne jouant pas suffisamment bien d’un instrument, je ne m’autorisais pas à me dire et à m’affirmer compositeur –, c’est un projet qui a connu plusieurs périodes mais qui pour chacune a ça de commun qu’il ne me ressemblait pas, dans le sens où j’essayais d’être Brassens, j’essayais d’être Brel, sans me l’avouer à moi-même, mais j’étais plus dans la référence que je n’étais dans la justesse de mon émotion et de ma façon de voir le monde. Donc je peux en parler mais qu’en dire d’autre, si ce n’est que ça a été un passage obligé pour être moi.

Tu as réalisé toi-même le clip d’« On ne meurt plus d’amour ». Comment est-ce que ça s’est passé, d’où est venue l’idée ?

C’est toujours délicat de savoir d’où vient une idée. C’est un truc un peu mystérieux, d’où vient une idée. Elle vient du faire, et je crois que c’est ce qui a changé chez moi et pour moi par rapport à cette période dont on parlait à l’instant : je ne cherche plus l’idée, je fais et je vois ce qui se passe. Et en l’occurrence c’est ce qui s’est passé pour le clip, c’est-à-dire des essais devant mon ordinateur, des envies de s’amuser devant un effet miroir, découvrir qu’on peut faire des choses incroyables, et puis se dire « C’est exactement de ça dont j’ai envie ». C’est le faire qui emmène l’idée. En fait, encore une fois, c’est en ça que mon rapport au monde a changé. Pendant très longtemps j’ai voulu tendre vers quelque chose avant même de l’expérimenter, maintenant j’expérimente les choses sans savoir où elles vont me mener, tant en termes d’écriture, de composition que de réalisation, jusqu’au moment où j’ai l’impression que voilà, je l’ai. Et justement, je ne me suis pas posé la question intellectuelle de savoir ce vers quoi je voulais aller. C’est l’action qui emmène l’idée. Comme la marche m’emmène à composer. Voilà. Être devant son ordinateur et passer des nuits d’insomnie, parce qu’on en a envie, parce que ça nous fait marrer, à essayer des choses, jusqu’au moment où l’évidence vous prend. Parfois elle ne vous prend pas, et parfois elle vous prend.

C’était sans doute inconscient au moment où tu l’as réalisé, mais ce jeu sur le double renvoie à quelque fort de très fort dans ta musique, une forme de dualité, qui est en plus reprise dans le titre de l’album.

Tout à fait. Il est conscient et inconscient, c’est-à-dire qu’au moment où je tombe sur cet effet qui est un effet miroir accessible sur tous les ordinateurs dans tous les foyers de France, de Navarre et du monde entier et que je m’amuse à faire ça, c’est justement au moment où je le fais que je me dis : mais évidemment, cet album est un album de dualité, cette chanson, en tout cas pour moi, « On ne meurt plus d’amour », est un dialogue qu’on entretient avec soi-même parce qu’on n’est jamais aussi seul qu’après une rupture amoureuse, on se sent seul au monde avec la sensation terrible qu’on ne va pas survivre à ça. Et il y a ce double en soi qui dit « Mais si, mais si, tu vas survivre » et l’autre qui dit « Mais non, mais non ». Et puis je dirais même qu’il y en a un troisième qui dit « Oui, je vais survivre – et le pire, c’est que je vais survivre ». Il n’y a rien de pire au monde, en tout cas au moment où on le vit, que de survivre à un chagrin d’amour. Est-ce que ce n’est pas finalement le plus douloureux de savoir que ça va passer et que tout ça n’aura pas eu de sens ? Que ce que j’ai ressenti n’est pas vrai, et où est la vérité, etc. Mais effectivement, la dualité est partout dans l’album, dans chaque morceau, et elle est aussi dans « On ne meurt plus d’amour ».

Elle est non seulement dans les textes mais aussi dans un contraste entre les mots et la manière de les chanter, entre le chant et les arrangements.

Je me suis fait la réflexion récemment que cette dualité, cette forme de schizophrénie ou de bipolarité, qui je vous rassure n’en est pas au stade de problème psychique grave mais qui habite effectivement mon rapport à la vie, a peut-être un rapport – après, c’est peut-être très intello – avec le fait que j’aie grandi dans le pôle inverse. Que j’aie un rapport à l’hiver, à l’été qui est inversé, qui en tout cas n’est peut-être pas complètement innocent. Quand je vivais dans le pôle Sud, j’étais plutôt considérée comme quelqu’un de très intello, avec les caractéristiques mentales, comportementales, même les codes vestimentaires qui étaient plus associés à l’Europe. Et quand je suis arrivée ici, j’ai été perçue comme quelqu’un de plutôt terrien, comme quelqu’un au contraire ayant un rapport à l’émotion et à l’immédiateté, et au corps aussi, qui était tout sauf du Nord. J’ai l’impression de vivre avec cette espèce de truc où je serais à la fois trop cérébrale pour les autres et au contraire trop sauvage… J’habite cet espace-là en permanence. D’un pôle à l’autre.

Pour en revenir à ce titre, L’hiver et la joie, c’est intéressant de choisir un titre qui ne soit pas celui d’un des morceaux, alors qu’il pourrait sembler plus facile par exemple de reprendre celui du single, que les gens ont déjà mémorisé. Pourquoi avoir choisi ce titre en particulier ?

Pour une raison que tu as évoquée tout à l’heure, à savoir qu’effectivement cette dualité-là, on avait envie qu’elle soit affichée, que le titre vienne en parler. Et puis il se trouve qu’il y a une chanson qui s’appelle « L’hiver et la joie », qu’on va d’ailleurs commencer à chanter en concert, histoire quand même de donner des clés et des pistes, mais qui finalement tout en étant la locomotive de l’album s’est retrouvée partir trop loin pour en faire partie. Donc il était à la fois le morceau conducteur et en même temps une fois enregistré, puisqu’il a été enregistré, on s’est rendu compte qu’il n’avait pas sa place sur l’album. Après, c’est complètement subjectif et d’autres l’auraient peut-être mis quand on l’a enlevé. On va recommencer à le chanter sur scène, mais effectivement il n’apparaît pas sur l’album.

Est-ce qu’il y a eu d’autres morceaux enregistrés qui n’y figurent pas ?

Il y en a un autre effectivement qui s’appelle « D’avant les fantômes », et qui verra peut-être le jour sur un support autre. On verra.

Comment s’est fait le passage des versions live à celles de l’album ?

Tout ça s’est fait d’un seul et même tenant puisqu’on a co-composé avec Jeff, j’arrive avec des mélodies, des tournures et rythmiques, ensemble on cherche les basses, il me propose des choses, et on les fixe tout de suite. On travaille sur cette base-là, basse, drum machine, voix, on les enregistre tout de suite et on maquette tout de suite dès qu’on a une envie et une idée. Et après, le travail scénique va enrichir le propos avec des arrangements divers et variés, et au moment de l’enregistrement ou de la finalisation du morceau, ça s’est enrichi par ce qu’il s’était passé sur scène. Alors évidemment, ce n’est pas enregistré dans la même énergie que l’énergie du live, mais la scène et l’album sont complètement associés et indissociables l’un de l’autre.

Ce qui frappe quand on découvre l’album et qu’on connaît déjà les versions live, c’est la différence au niveau du chant, qui est beaucoup plus retenu.

Effectivement. C’est une volonté… À mon sens, alors peut-être que le prochain album sera différent, mais en tout cas c’est le constat qu’on en a fait cette fois-ci : si l’énergie avait été la même sur l’album, à ce moment-là on avait tout intérêt à enregistrer un album live. C’était très difficile d’être à la fois dans une énergie similaire à celle du live tout en étant dans une écoute qui soit agréable. Disons que quand j’habite l’espace scénique, il se passe quelque chose que je ne peux pas reproduire en studio, parce qu’il ne se passe pas la même chose, et les quelques fois où on a été dans cette tentation de reproduire ça en studio, ce qu’on avait à entendre donnait une sensation de trop, une sensation qui n’était pas juste par rapport à ce qu’on a envie d’écouter chez soi, ou en tout cas la réflexion que j’en ai moi. Ça ne sonnait pas juste, en fait. Ce qui sonne juste en live sonne juste en live parce que l’énergie du live m’amène à un état particulier que je n’arrive pas à reproduire en studio.

En découvrant les versions de certains morceaux, on a presque l’impression qu’ils racontent une autre histoire. J’ai ressenti ça très fort notamment avec « On ne meurt plus d’amour » que j’avais découvert dans la version de la session Cargo, très différente.

Là, c’est à moi de te poser la question : qu’est-ce que ça t’a raconté de différent ? Ça m’intéresse…

Il y a une mélancolie que je n’avais pas perçue dans la version acoustique. Quelque chose de beaucoup plus triste et de beaucoup plus hivernal, justement.

Ce qui pourrait paraître contradictoire puisque la version live est plus punchy, si on veut dire les choses un peu simplement, mais effectivement il y a une forme d’énergie du désespoir qui va probablement être plus présente en live parce qu’habitée corporellement et organiquement que dans des versions plus calmes où le chant est plus en retrait, plus linéaire et laisse plus de place au texte mais qui aussi laisse moins d’impression, et j’entends par impression quelque chose de physique, moins d’impression émotionnelle.


Pourquoi avoir repris la version de « Je te tue » qui figurait sur le EP ?

C’est une bonne question. C’était une façon de faire le lien entre le EP et l’album d’une part, de créer un espace de transition entre le EP qui malgré tout est relativement différent, et ce morceau-là était vraiment le morceau de passage – et d’autre part, pour être tout à fait honnête, beaucoup de gens ont manifesté le fait qu’ils regretteraient énormément que ce morceau n’existe que d’une façon confidentielle sur un EP alors qu’il avait connu une petite vie sur France Inter, alors que beaucoup de gens ne connaissaient Robi qu’à travers ce morceau. Et donc pour une sortie d’album un peu moins confidentielle, les partenaires qui sont l’éditeur, le tourneur, etc, avaient envie qu’il continue d’exister parce que c’est un des morceaux représentatifs qui nous ont emmenés jusqu’ici.

Aurait-il été envisageable de le réenregistrer ?

On l’a réenregistré. Et on a gardé la version du EP. Ce sont des choses qu’on ne maîtrise pas, on l’a réenregistré et ce qu’on a obtenu avait perdu de son acidité, de son étrangeté et de son efficacité, de son immédiateté. C’est un support enregistré mais on est sur quelque chose de vivant. Il s’est passé deux ans entre ces deux morceaux et ce qu’on a réenregistré était plus rond, plus sensuel, était effectivement à la fois plus charnel et en même temps moins fort. Et donc on a vraiment décidé de garder la version originelle.

Est-ce que la question d’inclure « Il se noie » [reprise de Trisomie 21] au milieu de tes propres morceaux s’est posée ?

Pas une seconde. On était sûrs qu’il fallait qu’il soit sur cet album. On a tellement pensé ce morceau, on se l’est tellement approprié, on a tellement de bonheur à le jouer, et il est tellement différent aussi, il faut le dire, de la version de Trisomie 21, qu’on pouvait sans problème le défendre sans avoir l’impression que c’était vraiment une reprise… Et puis c’est une reprise d’un morceau qui n’est pas non plus un morceau connu de la France entière, donc c’est aussi une façon de faire découvrir ce morceau et ce groupe tout en gardant notre identité propre, on ne fait pas une reprise d’un morceau super connu, attendu. Donc non, la question ne s’est pas posée et on s’est même battus pour qu’il y soit, tout le monde n’était pas forcément pour, mais pour nous c’était une évidence.

Aussi bien quand on l’entend en live que sur l’album, on finit par le considérer comme un de tes morceaux.

J’en suis très fière si c’est le cas, mais nous, on le ressent et on le vit comme ça. Donc tant mieux si c’est un sentiment partagé avec d’autres, mais je repense à ce morceau de Noir Désir, « Johnny colère », qui est une reprise, mais je défie beaucoup de monde de s’en être rendu compte. Ils se le sont tellement approprié que c’est devenu un morceau de Noir Désir.

Est-ce que vous avez beaucoup réfléchi à la progression de l’album, et notamment au fait de conclure sur deux morceaux plus en douceur après des choses beaucoup plus dures ?

Oui. Encore une fois, ça n’a pas été pensé très longtemps, ça n’a pas été très difficile et très laborieux comme réflexion, c’est venu d’une façon assez évidente et c’est un tracklist qui n’est pas classique effectivement. On nous avait expliqué qu’il y a des règles, des W, des M, on commence par un morceau doux, on monte, on descend, on remonte, on redescend. Nous, ça nous est apparu comme une évidence de partir de quelque chose d’assez rugueux, d’assez intense, rythmiquement, et qui ait une forme d’efficacité, de faire l’expérience du trop plein pour aller vers le vide, le dépouillement, et aussi vers la lumière à partir de quelque chose qui est très rythmé et assez noir et de descendre vers quelque chose qui l’est beaucoup moins, et même qui finit par une espèce d’abstraction et de suspension, mais plus lumineux et avec une lumière différente. Et assez bizarrement, quand on parle de l’hiver et la joie, c’est un album qui commence par l’hiver, et l’hiver à ma manière se traduit d’une façon assez tenue, assez dure, assez rythmée, et finit par la joie, par la lumière et pourquoi pas du coup par l’été, qui pour moi est quelque chose de plus doux, avec un temps suspendu, plus ouvert.

Après ce dernier morceau, il y a ce titre bonus assez surprenant dans une veine totalement blues. Est-ce que tu pourrais envisager de creuser un peu plus cette veine-là ?

Tous les morceaux ont une construction finalement assez blues, voire légèrement jazz parfois. Et vraiment, intrinsèquement, le projet est un projet assez blues. Et qui va ailleurs en termes d’arrangements, et qui est construit, qui est remâché, etc. Mais je me suis vraiment rendu compte que systématiquement mes constructions mélodiques, mes constructions harmoniques étaient blues voire un peu jazz parfois sur certains morceaux. Mais le blues, ça veut tout dire et rien dire. Je pense que c’est aussi mes huit ans à la Réunion, d’avoir été nourrie de maloya, ce sont des constructions païennes classiques en fait, et c’est un morceau qui est à la limite du maloya, entre le blues, le maloya, ça pourrait être de la musique cajun. Il y a quelque chose de folklorique, pas dans le sens folk du terme mais de terrien qui est vraiment la base de chacun de mes morceaux et que j’avais envie de retrouver d’une façon complètement dépouillée et assumée sur ce morceau caché. Cela dit, on l’a retravaillé et il va exister encore différemment sur scène. Et puis c’est un clin d’œil à la Réunion, c’est un clin d’œil à l’Afrique, à mon enfance.

D’ailleurs quel est le titre de ce morceau ?

Il s’appelle « La finitude ».

L’album sort sur votre label. Est-ce par choix ou par nécessité ?

C’est un peu les deux, la nécessité faisant choix et inversement. On n’avait absolument aucune envie de faire le tour des maisons de disques avec notre projet. Le EP avait été lui-même fait dans une totale liberté sans tenter de trouver d’autres partenaires et ça nous avait plutôt réussi. Quand s’est posé la question pour l’album, on a eu quelques rares retours, parce qu’on n’en a pas demandé beaucoup, de gens très effrayés par d’après eux le côté très sombre de l’album. N’y voyant pas pour notre part la même chose, on s’est dit que vraiment on ne parlait pas la même langue, qu’on n’allait pas essayer de parler la leur, qu’on allait définitivement parler la nôtre et que la nôtre pourrait peut-être parler à des gens. Et donc, assez vite et très naturellement, on a décidé de suivre le même processus que pour le EP, si ce n’est qu’en l’occurrence il nous fallait faire les choses de façon un peu plus structurée, donc on a monté notre label, on a tout fait dans les règles, parce qu’on voulait que les choses soient un peu plus structurées que pour le EP où ça avait été vraiment une auto-production à la va-vite. Mais ça offre une liberté artistique qui pour moi est non négociable. Pour l’instant ça nous a plutôt réussi, en espérant que ça dure.

Est-ce que jouer sur scène a été quelque chose de facile et d’évident pour toi ?

Ce sont deux choses différentes. Facile, ça ne l’est jamais. C’est une bagarre, c’est une lutte. Évident oui, parce que c’est vraiment le nerf de la guerre. C’est là où les morceaux existent, c’est là où ils prennent corps, c’est là où le projet prend toute sa dimension, et pour moi c’est une nécessité. Après, la nécessité n’est pas forcément quelque chose de facile. J’ai peur systématiquement, il n’y a pas une fois où sur le point de monter sur scène je ne me demande pas pourquoi je m’inflige ça, et en même temps je ne me vois pas ne pas le faire. On a une tournée en train de se préparer, je me la souhaite belle, fournie et très longue, parce que c’est à la fois une grande souffrance et un pur bonheur. Encore une fois, la dualité est partout. Mais c’est les deux.

Sur scène, tu joues avec deux nouveaux musiciens depuis peu. Est-ce que tu peux nous les présenter ?

Avec grand plaisir. Bertrand Flamain qui a remplacé au clavier, guitare et percus Boris Boublil, et Valentin Durup qui a remplacé Jeff Hallam à la basse, au drum machine et aux multiples effets spéciaux dont il a l’art lui aussi. On sort de résidence tous les trois après s’être enquillé une douzaine de dates dans quelques-unes des plus belles salles de France, puisque en première partie d’Arno et de Dominique A, donc ils ont plutôt commencé la tournée dans de belles conditions. Et c’est un régal, on s’est vraiment trouvés. Ce sont deux charmants jeunes hommes, brillants, intelligents, gentils, très talentueux et je suis vraiment très contente. Ça aurait pu être un drame, la perte sur scène de Jeff et de Boris, et puis la vie continue, ça se passe très bien, on est très contents, c’est un excellent casting.

En 2012, tu as donc assuré des premières parties pour Jean-Louis Murat, Dominique A et Arno. Qu’est-ce que ce genre d’expérience apporte concrètement ?

Concrètement… Ça apporte l’expérience de jouer devant des publics divers et variés et nombreux, d’approcher un public qui n’est pas spécialement venu pour vous, pour ne pas dire pas du tout. Ça apporte des rencontres magiques, pas seulement avec les personnes que tu viens de citer mais aussi avec leurs musiciens, avec les gens des salles. Ça apporte de découvrir ce que c’est que la route – et c’est quelque chose, c’est une drôle d’aventure, la route. Ça apporte à la fois des milliers de petites choses et rien non plus de très concret – quand tu me demandes du concret, ça apporte quelques fans par date qui craquent et d’autres qui passent à côté du projet. Et puis évidemment la rencontre avec Jean-Louis Murat et avec Dominique A, qui sont deux très belles rencontres humaines et artistiques. Et puis disons-le, deux rêves de gosse qui se réalisent.

Il y a d’ailleurs eu une collaboration récente avec Jean-Louis Murat ?

On ne peut pas vraiment parler de collaboration, j’ai eu la chance de juste venir poser des voix sur un refrain, donc c’est vraiment une collaboration plus que modeste, mais quel bonheur. Je fais les chœurs sur un morceau qui s’appelle « Over and over » du prochain album de Jean-Louis. Ce sera à mon avis à peine cité dans les crédits, mais c’est trop bien. (rires) C’est juste trop bien.

Une tournée est prévue pour la sortie de l’album ?

Une tournée dont je ne connais pas les tenants et aboutissants précis. Elle commencera probablement à partir de mi-mars ou fin mars, avec une date à la Boule Noire le 25 mars. Il va y avoir normalement une belle tournée. Je ne sais pas exactement où ni quoi ni comment, un mélange de clubs rock, de premières parties, qui va s’étaler sur 2013 et 2014.

Photos (c) Mélanie Fazi

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publié par le 31/01/13