Il y a bientôt un an, Sing Sing, Eloïse Decazes et Thomas Bonvalet se réunissaient aux « 36h de Saint-Eustache » pour une création qui devait ensuite donner naissance à un album qui revisite le répertoire d’Arlt en le bousculant amoureusement. On retrouve ce soir au Chinois le même dispositif scénique : deux voix, une guitare, et tout un attirail où les instruments les plus familiers (banjo ou clochettes) côtoient les plus improbables (que nous serions bien en peine de nommer).
Est-ce d’avoir, entre-temps, apprivoisé l’album et ses arrangements dérangés ? On s’étonne en tout cas qu’un même matériau puisse produire, sur disque et sur scène, des impressions si différentes. Là où l’album s’aventurait parfois aux frontières du malaise, l’ambiance au Chinois est festive et chaleureuse. Mais surtout, là où les versions studio donnaient l’impression d’un dialogue mâtiné de duel (où les voix mêlées de Sing Sing et d’Eloïse Decazes affrontaient la voix contraire de Thomas Bonvalet), l’ensemble paraît ce soir plus cohérent que jamais. Peut-être parce qu’il devient possible de mettre des visages sur toutes les intriguantes sonorités qui redessinent sur disque le contour des chansons.
Sur un plan visuel, c’est encore plus frappant : chacun des protagonistes est pris dans sa propre transe, avec sa propre gestuelle frénétique ou languissante, et pourtant ils ne cessent jamais de se répondre, construisant les morceaux bien plus qu’ils ne les déconstruisent. On atteint de grands moments d’intensité quand le trio dynamite « Tu m’as encore crevé un cheval » ou « Le Pistolet », chargés d’une électricité nouvelle. À l’autre bout du spectre, « L’Enterrement », belle mélodie douce-amère entendue lors de précédents concerts, se termine sur une note apaisée au son de clochettes carillonnantes, tandis que « Je voudrais être mariée » flirte plus que jamais avec le chant sacré.
Le public réclame deux rappels à grands cris ; la seconde fois, Sing Sing revient expliquer, contrit, qu’ils n’ont plus de morceaux et qu’il ne leur reste donc plus qu’à boire des coups en compagnie de l’assemblée.
Après quoi nous avons bu.