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publié par vinciane le 12/11/12
Tango Libre - Frédéric Fonteyne
Frédéric Fonteyne

attente

Plumitif un jour, plumitif toujours. Qu’est-ce qui, après tout juste deux ans de jachère pousse à reprendre du service ? A dérouiller le verbe et la verve ? Il y a trois ans, lassé, on délaissait l’indé et les réseaux trop bien huilés pour s’aventurer ailleurs. Argentine. Tango. Années 30, 40. En parallèle, on allait rencontrer celles pour qui la seule musique qui résonne est celle des clés dans les serrures, le seul tempo, celui des rangers dans la coursive.

Alors, lorsqu’en septembre on découvre que le réalisateur belge Frédéric Fonteyne a réuni dans son film Tango Libre ces univers dont la probabilité qu’ils se croisent était aussi infime que celle de nous voir revenir écrire par ici, les intimes s’entrechoquent. On se sent bousculé par autant de familiarité.

Prison. Bande son. Paysages wallons.
L’attente était grande et inquiète au regard de sujets si sensibles.

équivoque

Très souvent maltraité par le cinéma dans un dégueulis d’ostentation aussi ridicule que fallacieux, le tango argentino derrière la caméra de Frédéric Fonteyne trouve son expression la plus sobre et probablement la plus juste. On peut imaginer que François Damiens, qui incarne JC, un surveillant de prison, a pris suffisamment de cours pour en comprendre les fondamentaux et suffisamment peu pour ne pas surjouer ce qui, dans l’ordinaire de cette danse, se résume bien souvent à une mise en mouvement codifiée de corps maladroits et engourdis par les années. Le réalisateur, qui explique se concentrer sur les "effets de la danse sur les corps", ne montre d’ailleurs pas de danse en tant que telle mais vraiment cette intimité qui se crée à partir du moment où deux danseurs s’enlacent. Il ne donne pas à voir ce que le commun du public imagine souvent du tango - enchevêtrements de jambes acrobatiques et regards de braise -, mais simplement l’équivoque qui peut naître d’un abrazo. A l’extérieur, le tango est une expression intime.

A l’intérieur, dans les murs, entre hommes, la danse mélange à la fois les origines, lorsqu’à Buenos Aires le tango se dansait principalement entre hommes, et le style nuevo, plus contemporain et plus démonstratif. Même si on peine à croire à l’engouement suscité parmi les détenus pour l’apprentissage de cette danse, il faut admettre que la performance de Chicho Frumboli et Pablo Tegli en rangers a de quoi démythifier le côté paillettes et brillantine souvent associé au tango. Pour les initiés, les scènes réunissant les deux danseurs sont jouissives. Elles apportent une brutalité évidemment jamais observée en milonga, le tout avec une crédibilité très étonnante.

Enfermement

Dans ce film, la finesse et la subtilité se retrouvent également dans le choix des quelques morceaux de tango qui le parsèment. Sans surprise, on évite l’écueil cumparsita qui eut été le faux pas ultime (seul morceau de tango que les non-initiés peuvent fredonner à l’évocation du genre musical). Le réalisateur a préféré placer Pobre Flor, une valse bien connue des danseurs, et quelques thèmes plus discrets. Et c’est tant mieux. Le morceau de Gotan Project accompagnant les scènes en détention fonctionne bien - et évidemment bien - avec Chicho, connu pour être l’un des maîtres du tango nuevo. Comme un wagon que l’on raccroche au reste du rafiot, le film fait figurer dans sa bande son plusieurs artistes bien connus et bien-aimés par ici : Agnès Obel, Lisa Hannigan (générique de fin) ou encore Tindersticks, ce qui achève de le placer résolument comme un film soigné et indépendant des grosses productions.

Etonnamment, Tango Libre est un film sans date. Les papiers peints sont antédiluviens, les murs de la prison décrépits, les téléphones hors d’âge, les tenues intemporelles. On se sent hors du temps. Dans une réalité qui se veut générique aux thématiques séculaires : la famille, les relations entre homme et femme, la danse, cela ne fait que renforcer la pesanteur du propos. L’ambiance est lourde, parfois suffocante lorsque l’on se saisit de l’infinie solitude des personnages. La photographie se met sans cesse au service de ces clairs-obscurs, notamment dans les scènes des personnages chez eux. L’enfermement en soi comme une prison dont le tango est la clé. Cela ne surprendra sûrement pas les danseurs. Cela échappera sûrement aux spectateurs. Tout comme cette scène au lendemain du premier cours où JC rencontre Alice. On voit JC seul dans sa cuisine. Pour certains, ce sera seulement un moment de solitude après le partage de la veille. Et ceux qui savent y reconnaîtront l’état de prostration dans lequel un danseur peut se retrouver plongé s’il repense aux émotions surgies d’un tango partagé.

Amalgame

Là où l’écriture prouve une nouvelle fois sa finesse, c’est qu’elle évite l’amalgame direct de la rencontre de deux danseurs et de la naissance d’une relation amoureuse. Même si elle dépeint avec justesse la capacité que le trouble a de s’inviter dans la danse, elle range l’émergence d’une relation amoureuse derrière le caractère de son personnage, Alice, une femme qui vit au travers de ses relations aux hommes : son mari, son amant, son fils. Puis JC.

Et la prison dans tout ça ? La prison est une métaphore continue et persistante. Du point de vue du danseur, elle peut même être perçue comme une métaphore de la milonga, l’endroit clos et codifié où se déroulent les bals de tango, l’endroit où s’expriment avec puissance les jeux de la séduction et du pouvoir. Le lieu où l’on s’observe aussi. Et l’on ne peut s’empêcher de penser à cette milonga parisienne (enfin, montreuilloise) qui s’appelle Le Parloir lorsque l’on assiste à la valse mère-fils et mari-amant au parloir à table. 10 minutes et on change. La prison comme une métaphore car elle n’est jamais placée comme une thématique frontale du film.
Comme le tango, elle sert le propos, centré sur les relations qui unissent les cinq personnages.
Comme le tango, elle met en évidence leurs propres enfermements et leur volonté d’en sortir.
Pour autant, on ne passe pas à côté de la lourdeur du sujet, dépeint avec une exactitude mélangeant intimité et distance. Le réalisateur n’est pas là pour dénoncer, enjoliver ou même décrire l’univers carcéral. Et pourtant, on note le soin apporté aux moindres détails des scènes en cellule. Les oignons que l’on fait frire sur la plaque de maintien au chaud de la cafetière, le toto accroché dans un coin de la pièce, l’état du mitard. Le tout sert un film à la justesse surprenante.

énigme

Une justesse qui aplanit parfois un peu l’intensité du scénario. S’il se joue un noeud de vie clé pour chacun des cinq personnages de l’histoire, il n’en est pas pour autant d’emphase dramatique. La psychologie des protagonistes se révèle suffisamment fine pour que le glissement soit subtil mais perceptible, réel mais fin. Au risque de gommer un relief souvent propre à la mise en scène. Ajoutons-y quelques notes d’humour ou de cynisme belge et ce film attendrit autant qu’il émeut, convainc autant qu’il dépeint.

L’énigme reste peut-être celle du titre. Que l’on ne trouve pas si pertinent, pas si précis que son contenu. Bien entendu quelques clés se révèlent sur le tard et le titre a l’avantage de rassembler les deux univers de la danse et de la détention en un bel oxymore. Pourtant, pour synecdoques ou prétextes qu’ils soient dans ce film, le tango et la prison ne devraient pas être ainsi mis au premier plan. Le premier titre Quartier libre qui avait été évoqué semble avoir été écarté avec lucidité. On peut se demander s’il n’y a pas dans cette incapacité à titrer ce film une forme d’aveu sur l’intention. De quoi voulait-on parler au juste ? Un peu comme l’affiche... si la version française est une belle réussite pour l’intime qu’elle expose, on frise le contresens (et le mauvais goût) sur l’affiche belge.

Etonnantes maladresses d’un film à la distribution impeccable, aux ambiances soignées et aux dialogues ou silences éloquents. Peut-être est-ce aussi ce qui fait de Tango Libre un film touchant et familier, générique et particulier.

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publié par le 12/11/12